Un arrêté ministériel pouvait autoriser la
destruction de cormorans compte tenu des dommages qu’ils causent aux cultures
La ministre de la transition écologique et solidaire et le ministre de l'agriculture et de l'alimentation ont pris un arrêté le 27 août 2019 fixant les quotas départementaux dans les limites desquels des dérogations aux interdictions de destruction peuvent être accordées par les préfets concernant les grands cormorans (Phalacrocorax carbo sinensis) pour la période 2019-2022.
L’association One Voice attaque cet arrêté.
La chasse de ces oiseaux est réglementée par l'article 5 de la directive 2009/147/CE du Parlement européen et du Conseil du 30 novembre 2009 concernant la conservation des oiseaux sauvages en vertu duquel " sans préjudice des articles 7 et 9, les Etats membres prennent les mesures nécessaires pour instaurer un régime général de protection de toutes les espèces d'oiseaux visées à l'article 1er et comportant notamment l'interdiction :
a) de les tuer ou de les capturer intentionnellement, quelle que soit la méthode employée,
b) de détruire ou d'endommager intentionnellement leurs nids et leurs œufs et d'enlever leurs nids (...) ".
Aux termes de l'article 9 de la même directive :
" 1. Les États membres peuvent déroger aux articles 5 à 8 s'il n'existe pas d'autre solution satisfaisante, pour les motifs ci- après :
a) - dans l'intérêt de la santé et de la sécurité publique,
- dans l'intérêt de la sécurité aérienne,
- pour prévenir les dommages importants aux cultures, au bétail, aux forêts, aux pêcheries et aux eaux,
- pour la protection de la faune et de la flore (...) ".
Ces dispositions ont été transposées en droit français à l’article L. 411-1 du code de l’environnement :
" I. - Lorsqu'un intérêt scientifique particulier, le rôle essentiel dans l'écosystème ou les nécessités de la préservation du patrimoine naturel justifient la conservation de sites d'intérêt géologique, d'habitats naturels, d'espèces animales non domestiques ou végétales non cultivées et de leurs habitats, sont interdits :
1° La destruction ou l'enlèvement des œufs ou des nids, la mutilation, la destruction, la capture ou l'enlèvement, la perturbation intentionnelle, la naturalisation d'animaux de ces espèces ou, qu'ils soient vivants ou morts, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur détention, leur mise en vente, leur vente ou leur achat (...) ".
Aux termes de l'article L. 411-2 du même code :
" I. - Un décret en Conseil d'Etat détermine les conditions dans lesquelles sont fixées :
1° La liste limitative des habitats naturels, des espèces animales non domestiques (...) ainsi protégés ; / (...)
4° La délivrance de dérogations aux interdictions mentionnées aux 1°, 2° et 3° de l'article L. 411-1, à condition qu'il n'existe pas d'autre solution satisfaisante, pouvant être évaluée par une tierce expertise menée, à la demande de l'autorité compétente, par un organisme extérieur choisi en accord avec elle, aux frais du pétitionnaire, et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle :
a) Dans l'intérêt de la protection de la faune et de la flore sauvages et de la conservation des habitats naturels ;
b) Pour prévenir des dommages importants notamment aux cultures, à l'élevage, aux forêts, aux pêcheries, aux eaux et à d'autres formes de propriété (...) ".
Aux termes de l'article R. 411-1 du même code : " Les listes des espèces animales non domestiques et des espèces végétales non cultivées faisant l'objet des interdictions définies par l'article L. 411-1 sont établies par arrêté conjoint du ministre chargé de la protection de la nature et soit du ministre chargé de l'agriculture, soit, lorsqu'il s'agit d'espèces marines, du ministre chargé des pêches maritimes ".
Les ministres sont compétents pour autoriser les dérogations à l’interdiction de chasser quand l’aire de chasse excède le territoire d’un département
Le préfet est compétent pour accorder les dérogations à l’interdiction de chasser (art. R. 411-6).
Enfin, " les ministres chargés de la protection de la nature, de l'agriculture et le cas échéant des pêches maritimes fixent par arrêté conjoint pris après avis du Conseil national de la protection de la nature : / (...) / 2° Si nécessaire, pour certaines espèces dont l'aire de répartition excède le territoire d'un département, les conditions et limites dans lesquelles les dérogations sont accordées afin de garantir le respect des dispositions du 4° de l'article L. 411-2 du code de l'environnement " (art. R. 411-13).
En application de ces dispositions, le ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer, en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat, et le ministre de l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche ont pris, le 29 octobre 2009, un arrêté fixant la liste des oiseaux protégés sur l'ensemble du territoire, parmi lesquels figure le grand cormoran, ainsi que les modalités de leur protection.
Par un arrêté du 26 novembre 2010, la ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement et le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l'aménagement du territoire ont fixé les conditions et limites dans lesquelles des dérogations aux interdictions de destruction peuvent être accordées par les préfets concernant les grands cormorans afin de prévenir les dommages importants que ces oiseaux causent aux piscicultures ainsi que les risques que présente la prédation du grand cormoran pour les espèces de poissons protégées.
Cet arrêté précise notamment les territoires dans lesquels des interventions peuvent être autorisées par les préfets de département ainsi que les périodes concernées, détermine les modalités d'exécution des opérations de destructions et prévoit, à son article 4, que, pour chaque campagne de prélèvements, le nombre de spécimens qui peuvent être détruits est limité par des quotas départementaux fixés par arrêté ministériel.
En application de ces dispositions, la ministre de la transition écologique et solidaire et le ministre de l'agriculture et de l'alimentation ont pris, le 27 août 2019, l'arrêté fixant les quotas départementaux dans les limites desquels des dérogations aux interdictions de destruction peuvent être accordées par les préfets concernant les grands cormorans (Phalacrocorax carbo sinensis) pour la période 2019-2022, dont l'association requérante demande l'annulation.
L’autorisation de détruire une proportion de cormorans est proportionnée aux dommages qu’ils causent
Il ne peut être légalement dérogé à l'interdiction de tuer intentionnellement les espèces d'oiseaux protégées visées par l'article 1er de la directive du 30 novembre 2009 concernant la conservation des oiseaux sauvages que pour prévenir des dommages importants, notamment aux cultures, à l'élevage, aux forêts, aux pêcheries, aux eaux et à d'autres formes de propriété, à condition qu'il n'existe pas d'autre solution satisfaisante et que la dérogation accordée ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations concernées dans leur aire de répartition naturelle.
En premier lieu, si l'association requérante soulève, par la voie de l'exception, le moyen tiré de l'illégalité de l'arrêté du 26 novembre 2010 fixant les conditions et limites dans lesquelles des dérogations aux interdictions de destruction peuvent être accordées par les préfets concernant les grands cormorans au motif qu'il méconnaîtrait les objectifs de l'article 9 de la directive du 30 novembre 2009, transposé par l'article L. 411-2 du code de l'environnement, en n'en garantissant pas l'effet utile, il résulte des termes mêmes de cet arrêté que celui-ci précise notamment la nature des dommages importants susceptibles de justifier la mise en œuvre d'opérations de destruction dérogatoires, encadre le déroulement de ces opérations en définissant des territoires d'intervention et en fixant les périodes autorisées, pose le principe de quotas départementaux de prélèvement, prescrit les modalités d'exécution détaillées des opérations de destruction et prévoit la transmission par les préfets d'un bilan annuel des opérations aux ministres compétents.
Dès lors, le moyen tiré, par la voie de l'exception, de l'illégalité de l'arrêté du 26 novembre 2010 au regard des dispositions de l'article L. 411-2 du code de l'environnement doit être écarté.
En deuxième lieu, d'une part, l'arrêté attaqué se borne à fixer des plafonds annuels de destructions de spécimens pendant la période 2019-2022 par département.
Il appartiendra aux préfets d'apprécier, en fonction des circonstances locales, si des autorisations de destruction peuvent être accordées, en s'assurant que les conditions posées par l'article L. 411-2 du code de l'environnement et par l'arrêté du 26 novembre 2010 sont remplies, en vérifiant notamment qu'il n'existe pas d'autre solution satisfaisante.
D'autre part, il ne ressort pas des pièces du dossier que le quota annuel total de destructions fixé par l'arrêté attaqué, qui s'élève à 50 283 spécimens à l'échelle de l'ensemble du territoire, serait de nature à nuire au maintien, dans un état de conservation favorable, de la population de grands cormorans dans son aire de répartition naturelle dès lors qu'il ressort notamment des rapports annuels du coordonnateur national pour le suivi de cet oiseau pour 2018 et 2019, que sa population globale est assez importante, stable et même en légère augmentation au cours des dernières années, alors même que les précédents arrêtés avaient fixé les quotas de destruction à un niveau comparable à celui de l'arrêté attaqué.
Enfin, s'il n'est pas contesté qu'un risque de confusion existe entre le Phalacrocorax carbo sinensis et le Phalacrocorax carbo carbo, espèce particulièrement vulnérable pour laquelle aucune destruction ne peut être autorisée, il ressort des pièces du dossier que l'arrêté attaqué fixe, pour les départements du Morbihan, d'Ille-et-Villaine et du Finistère, qui sont ceux dans lesquels ces deux espèces sont présentes, des quotas annuels de destruction très bas, la solution alternative des effarouchements y étant, en dépit de sa moindre efficacité supposée, privilégiée.
De même, le risque d'atteinte aux cormorans nicheurs, qu'invoque l'association requérante, apparaît limité dès lors que la période autorisée pour les destructions, telle qu'elle résulte de l'article 3 de l'arrêté du 26 novembre 2010, ne correspond pas à la période de reproduction de cette espèce et que la faculté, laissée à l'appréciation des préfets par l'article 13 de ce même arrêté, de prolonger certaines interventions au-delà de la date limite est réservée à des cas limités.
Par conséquent, les quotas fixés par l'arrêté attaqué ne méconnaissent pas les dispositions des articles L. 411-1 et L. 411-2 du code de l'environnement.
(CE 21 avril 2022, n°435539).
Robert CRAUSAZ