Un rapport parlementaire se penche sur les espèces invasives qui seraient responsables de 40% de la perte de biodiversité
Une espèce, invasive ou envahissante, est une espèce qui a été introduite dans un milieu dans lequel elle n’avait jamais évolué et qui a réussi à s’y établir.
Selon l’Observatoire national de la biodiversité, un département métropolitain compte depuis 1979 en moyenne six espèces exotiques envahissantes de plus tous les dix ans.
Lorsqu’elle réussit à s’implanter, elle peut s’étendre et poser des problèmes à l’écosystème d’accueil.
Toutefois, parmi le nombre très important d’espèces introduites seules 1 % pose problème.
Encore largement méconnues du grand public, les invasions biologiques constituent la deuxième cause d’extinction des espèces selon Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC).
La déforestation, le réchauffement climatique ou encore la pollution sont identifiés comme un danger pour la biodiversité.
En revanche, les invasions biologiques sont nettement moins bien comprises : contre intuitivement pour protéger la biodiversité il faut s’attaquer à une partie de cette biodiversité.
Au-delà des effets environnementaux, le coût économique des invasions biologiques est colossal : baisse des rendements pour les agriculteurs, baisse de la fréquentation touristique ou encore problèmes sanitaires.
Plusieurs travaux tentent d’estimer le coût monétaire des invasions biologiques animales, végétales et pathogènes.
La dernière étude, publiée en mars 2021 dans la revue Nature, évalue le coût minimum des invasions biologiques à 26,8 milliards de dollars par an et prédit une augmentation constante à l’échelle mondiale.
Définition de l’invasion biologique
Une plante invasive se définit comme une espèce végétale ayant un avantage compétitif par rapport à des espèces locales présentes au même endroit.
Cette notion s’apparente au mécanisme scientifique d’invasion biologique et au terme juridique d’espèce exotique envahissante.
Une invasion biologique désigne le phénomène par lequel un organisme parvient à se développer en dehors de son aire de répartition naturelle.
L’organisme à l’origine de l’invasion peut être terrestre ou aquatique, animal, végétal et être en outre pathogène.
Les invasions peuvent résulter d’une dispersion naturelle. Toutefois elles sont majoritairement le résultat d’activités humaines telles que le commerce, le tourisme ou les incursions militaires.
Le processus d’invasion connaît trois phases successives : l’introduction, l’implantation et la prolifération de l’organisme exotique dans un nouvel environnement.
En France, l’Inventaire national du patrimoine naturel (INPN) recense 1 379 espèces végétales exotiques.
Toutefois, seulement 1 % à 10 % des espèces introduites deviennent invasives.
Pour s’établir, les plantes exotiques doivent trouver des conditions propices d’acclimatation, comme le climat, la moindre résistance des espèces locales ou encore l’absence de prédateurs.
Enfin, il convient de préciser que les écosystèmes peuvent être plus ou moins sensibles aux invasions biologiques : les espaces insulaires et humides sont plus vulnérables que les déserts ou les espaces boisés.
Les espèces indigènes invasives
Les espèces exotiques ne sont pas les seules à poser problème. Une espèce végétale indigène peut présenter un caractère envahissant et être à l’origine de nombreuses incidences négatives.Le pin d’Alep (pinus halepensis), originaire du bassin méditerranéen, est très sensible au feu mais se régénère plus vite que les autres espèces après un incendie. Dès lors, plus un territoire brûle, plus cette espèce se développe, augmentant le risque d’incendie.Plusieurs botanistes estiment que l’extension de l’aire de répartition du pin d’Alep et d’autres espèces indigènes nécessite une meilleure réglementation.Si l’article L. 411-4 du code de l’environnement prévoit un régime de contrôle des introductions d’espèces indigènes, son application est conditionnée par la publication d’une liste d’espèces indigènes invasives établie par un arrêté pris conjointement par les ministres chargés de l’environnement et de l’agriculture, après avis du Conseil national de protection de la nature (CNPN). Or à ce jour, cette liste n’a pas été publiée.Les plantes invasives sont responsables de 40% de la perte de biodiversitéÀ l’échelle mondiale, les espèces exotiques envahissantes ont contribué à 40 % des extinctions d’espèces enregistrées depuis les 400 dernières années.Selon les informations recueillies par vos rapporteurs, les plantes invasives ont deux effets majeurs sur l’environnement : la perte de biodiversité et l’altération du fonctionnement des écosystèmes.S’agissant de la perte de biodiversité, des extinctions locales et globales sont dues aux impacts des plantes, qu’ils soient directs (compétition des espèces) ou indirects (émission de composés biochimiques qui empêchent le développement d’autres organismes).L’altération du fonctionnement des écosystèmes résulte pour sa part de la perte de biodiversité ou du changement de la chimie du sol ou de l’eau.Les écosystèmes insulaires sont tout particulièrement vulnérables.Ils concentrent à la fois une biodiversité endémique et des écosystèmes sensibles aux invasions, notamment dans les îles les plus isolées des masses continentales où les espèces ont évolué avec moins de compétition.Selon l’Observatoire national de la biodiversité, parmi les 100 espèces les plus envahissantes au monde, 60 sont présentes dans au moins un territoire d’outre-mer français.La lutte contre les plantes invasives fait l’objet d’une réglementation internationale, européenne et nationale
La Convention sur la diversité biologique, ratifiée par la France en juillet 1994, constitue le principal instrument international pour la protection de la biodiversité.Elle prévoit en son article 8.h) que : « Chaque Partie contractante, dans la mesure du possible et selon qu’il conviendra empêche d’introduire, contrôle ou éradique les espèces exotiques qui menacent des écosystèmes, des habitats ou des espèces ».
Lors de la dixième réunion de la Conférence des Parties, organe directeur de la Convention sur la biodiversité, à Nagoya en 2010, les États ont adopté le plan d’action stratégique pour la biodiversité 2011-2020 qui fixe les « Objectifs d’Aichi » à atteindre d’ici 2020.Le but stratégique B concerne les espèces exotiques envahissantes. Il prévoit de « réduire les pressions directes exercées sur la diversité biologique et encourager l’utilisation durable ».Il se décline à l’objectif B.9 ainsi : « D’ici à 2020, les espèces exotiques envahissantes et les voies d’introduction sont identifiées et classées en ordre de priorité, les espèces prioritaires sont contrôlées ou éradiquées et des mesures sont en place pour gérer les voies de pénétration, afin d’empêcher l’introduction et l’établissement de ces espèces».
La Commission européenne a présenté, dans la communication « Vers une stratégie de l’Union européenne relative aux espèces envahissantes », plusieurs pistes pour lutter contre les espèces exotiques problématiques (La communication est disponible sur : https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:52008DC0789&from=FR). Elle préconise la création d’un nouveau dispositif juridique de lutte qui s’est traduit par l’adoption du règlement (UE) n° 1143/2014 du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2014 relatif à la prévention et à la gestion de l’introduction et de la propagation des espèces exotiques envahissantes (La communication est disponible sur : https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:52008DC0789&from=FR. ).Le règlement prévoit la création d’une liste d’espèces exotiques envahissantes, végétales et animales, préoccupantes pour l’Union européenne.Chaque espèce réglementée fait l’objet d’une évaluation des risques à l’échelle européenne, qui correspond à un état des connaissances sur l’espèce évaluée.L’analyse de risque porte sur les impacts environnementaux, économiques et sanitaires, mais également sur les éventuels avantages de l’espèce (intérêt économique ou environnemental).Le projet de liste est soumis à un ensemble d’acteurs socio-économiques, notamment l’Organisation mondiale du commerce (OMC), puis discuté et voté lors d’un forum scientifique réunissant l’ensemble des États membres de l’Union européenne.Les espèces inscrites sur les listes d’espèces préoccupantes sont interdites à l’importation, la vente, l’achat et l’utilisation.Il est à noter que la liste européenne n’est pas applicable aux territoires ultramarins, qui ont la possibilité de dresser leurs propres listes.La liste européenne doit être mise à jour et réexaminée au moins tous les six ans.En pratique, les mises à jour interviennent tous les deux ans au moyen de l’adoption de règlements d’exécution.Une première liste de 37 espèces a été publiée au Journal officiel de l’Union européenne le 13 juillet 2016 (Règlement d’exécution (UE) 2016/1141 de la Commission du 13 juillet 2016 adoptant une liste des espèces exotiques envahissantes préoccupantes pour l’Union conformément au règlement (UE) n° 1143/2014 du Parlement européen et du Conseil) 12 espèces y ont été ajoutées le 13 juillet 2017 (Règlement (UE) 1143/2014 du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2014 relatif à la prévention et à la gestion de l’introduction et de la propagation des espèces exotiques envahissantes) et 17 espèces le 25 juillet 2019 (Règlement d’exécution (UE) 2019/1262 de la Commission du 25 juillet 2019 modifiant le règlement d’exécution (UE) 2016/1141 pour mettre à jour la liste des espèces exotiques envahissantes préoccupantes pour l’Union).En complément de la liste, le règlement prévoit trois types d’intervention :– des actions de prévention : les espèces inscrites sur la liste de l’Union font l’objet de plusieurs interdictions (importation, commercialisation). Par ailleurs, des plans d’action relatifs aux voies d’introduction seront élaborés afin de prévenir les introductions non intentionnelles ;– des moyens d’alerte et de réaction rapide : via un système de surveillance, de recherche et de suivi des espèces exotiques envahissantes et des contrôles aux frontières ;– des actions de gestion pour les espèces déjà installées : lorsqu’une espèce listée est déjà largement répandue, des mesures visant à réduire au minimum les dommages doivent être mises en place.Bien que le règlement soit d’effet direct en France, la réglementation européenne a encouragé la France à se saisir de la question des invasions biologiques.La mise en place d’une législation nationaleLa loi n° 2016 1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, dite loi Biodiversité, réforme le statut des espèces exotiques envahissantes. L’article 149 crée une nouvelle section intitulée « Contrôle et gestion de l’introduction de certaines espèces animales et végétales », comportant trois sous-sections :– sous-section 1 : Contrôle de l’introduction dans le milieu naturel de spécimens appartenant à certaines espèces animales et végétales indigènes (art. L. 411 4) ;– sous-section 2 : Prévention de l’introduction et de la propagation des espèces exotiques envahissantes (art. L. 411 5 à L. 411 7) ;– sous-section 3 : Lutte contre certaines espèces animales et végétales introduites (art. L. 411 8 à L. 411 10).Afin de prévenir l’introduction et la propagation des espèces exotiques envahissantes, la loi prévoit deux régimes d’interdiction.Un premier régime interdit l’introduction d’espèces non indigènes envahissantes dans le milieu naturel.Un second régime interdit l’introduction et la diffusion d’espèces non indigènes envahissantes sur le territoire national.Le premier régime, prévu à l’article L. 411 5 du code de l’environnement, est antérieur à la réglementation européenne.Il a été conservé afin de constituer un système de paliers graduels.Ce régime nécessite de définir des listes d’espèces soumises à l’interdiction d’introduction dans le milieu naturel par arrêtés ministériels, dits de niveau 1, pour chaque territoire.Afin de créer une barrière plus forte à l’introduction d’espèces exotiques, toutes les espèces exotiques non domestiques sont interdites d’introduction dans le milieu naturel pour les territoires ultramarins insulaires (listes négatives).Néanmoins, l’interdiction d’introduction n’est pas absolue et peut faire l’objet d’une autorisation administrative d’introduction dans le milieu naturel.Pour la métropole, à ce jour, aucune espèce végétale n’est réglementée en niveau 1.Le second régime, prévu à l’article L. 411-6 du code de l’environnement, interdit l’introduction sur le territoire national ainsi que le transit sous surveillance douanière, la détention, le transport, le colportage, l’utilisation, l’échange, la mise en vente ou l’achat d’espèces exotiques.Ce régime suppose également que les espèces soient inscrites sur une liste prise par arrêté du ministre chargé de l’environnement.À ce jour, la liste métropolitaine compte trente-six espèces végétales réglementées (niveau 2), toutes issues des listes européennes précédemment mentionnées.Lors de son audition, le ministère chargé de l’environnement a fait part de la mise à jour prochaine de ces listes : dix-sept nouvelles espèces végétales pourraient être inscrites en niveau 1 et quinze en niveau 2.Les listes de niveau 1 et 2 coexistent car elles ont un champ d’application différencié.Les listes de niveau 1 concernent les milieux naturels, bien qu’aucune disposition nationale ne donne une définition de ce qu’est un milieu naturel.D’après les informations transmises par les organismes auditionnés, les milieux naturels correspondent aux parcs nationaux et régionaux, aux réserves naturelles et aux aires protégées.Au cours des auditions menées par vos rapporteurs, plusieurs organismes ont signalé le caractère obsolète des listes de niveau 1 du fait de leur champ d’application restreint.De plus, l’existence de ces deux listes est source de confusion et participe au manque de lisibilité des espèces végétales effectivement interdites.Les acteurs ultramarins auditionnés par vos rapporteurs ont jugé absolument nécessaire de faire évoluer les listes de niveau 2 en outre-mer vers le modèle de « tout est interdit sauf » (listes négatives). Au regard de la vulnérabilité des écosystèmes insulaires, vos rapporteurs partagent cette préoccupation.
Rapport d’information n° 4391 déposé le 21 juillet 2021 par la mission d’information sur la prolifération des plantes invasives et les moyens pour endiguer cette situation.
La lettre du développement durable 18 octobre 2021
Robert CRAUSAZ