L’indemnisation des dégâts causés par le gibier aux cultures qui pèse sur les fédérations de chasseurs n’est pas contraire à la Constitution
A l’occasion d’un litige devant le Conseil d’Etat, la fédération nationale des chasseurs a soutenu que l’indemnisation des dégâts aux cultures causés par le gibier qui pèse sur les fédérations était contraire à la Constitution et en particulier au principe d’égalité.
Le Conseil constitutionnel a donc été saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur plusieurs articles du code de l’environnement qui prévoient ce régime d’indemnisation : l'article L. 421-5 alinéa 3 du code de l'environnement, l'article L. 426-5 alinéas 3 et 4 du même code dans leur rédaction résultant de la loi du 24 juillet 2019 et l'article L. 426-3 du même code dans sa rédaction résultant de la loi du 13 octobre 2014.
Rappelons les termes de ces articles :
L'article L. 421-5 du code de l'environnement, dans sa rédaction résultant de la loi du 24 juillet 2019, est relatif aux fédérations départementales des chasseurs.
Son troisième alinéa prévoit : « Elles conduisent des actions de prévention des dégâts de gibier et assurent l'indemnisation des dégâts de grand gibier dans les conditions prévues par les articles L. 426-1 et L. 426-5 ».
L'article L. 426-3 du même code, dans sa rédaction résultant de la loi du 13 octobre 2014, prévoit : « L'indemnisation mentionnée à l'article L. 426-1 pour une parcelle culturale n'est due que lorsque les dégâts sont supérieurs à un seuil minimal.
Un seuil spécifique, inférieur à ce seuil minimal, peut être fixé pour une parcelle culturale de prairie.
S'il est établi que les dégâts constatés n'atteignent pas ces seuils, les frais d'estimation des dommages sont à la charge financière du réclamant.
« En tout état de cause, l'indemnité fait l'objet d'un abattement proportionnel.
« En outre, cette indemnité peut être réduite s'il est constaté que la victime des dégâts a une part de responsabilité dans la commission des dégâts.
La Commission nationale d'indemnisation des dégâts de gibier, visée à l'article L. 426-5, détermine les principales règles à appliquer en la matière.
« Dans le cas où les quantités déclarées détruites par l'exploitant sont excessives par rapport à la réalité des dommages, tout ou partie des frais d'estimation sont à la charge financière du réclamant.
« Les conditions d'application du présent article sont fixées par décret en Conseil d'État ».
Les troisième et quatrième alinéas de l'article L. 426-5 du même code, dans sa rédaction résultant de la loi du 24 juillet 2019, prévoient :
« Dans le cadre du plan de chasse mentionné à l'article L. 425-6, il est institué, à la charge des chasseurs de cerfs, daims, mouflons, chevreuils et sangliers, mâles et femelles, jeunes et adultes, une contribution par animal à tirer destinée à financer l'indemnisation et la prévention des dégâts de grand gibier.
Le montant de ces contributions est fixé par l'assemblée générale de la fédération départementale ou interdépartementale des chasseurs sur proposition du conseil d'administration.
« La fédération départementale ou interdépartementale des chasseurs prend à sa charge les dépenses liées à l'indemnisation et à la prévention des dégâts de grand gibier.
Elle en répartit le montant entre ses adhérents ou certaines catégories d'adhérents.
Elle exige une participation des territoires de chasse, elle peut en complément exiger notamment une participation personnelle des chasseurs de grand gibier, y compris de sanglier, une participation pour chaque dispositif de marquage ou une combinaison de ces différents types de participation.
Ces participations peuvent être modulées en fonction des espèces de gibier, du sexe, des catégories d'âge, des territoires de chasse ou unités de gestion ».
La fédération requérante reproche à ces dispositions de méconnaître le principe d'égalité devant les charges publiques, au motif qu'elles font peser sur les seules fédérations départementales des chasseurs la charge de l'indemnisation des dégâts de grand gibier, alors que son montant a augmenté en raison de la prolifération de certaines espèces et que les chasseurs ne sont pas responsables de ces dégâts.
Pour les mêmes motifs, il en résulterait également une méconnaissance du droit de propriété.
Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « et assurent l'indemnisation des dégâts de grand gibier dans les conditions prévues par les articles L. 426-1 et L. 426-5 » figurant au troisième alinéa de l'article L. 421-5 du code de l'environnement et sur les troisième et quatrième alinéas de l'article L. 426-5 du même code.
La fédération de chasseurs requérante soutient que ces dispositions méconnaissent l’article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ».
Si cet article n'interdit pas de faire supporter, pour un motif d'intérêt général, à certaines catégories de personnes des charges particulières, il ne doit pas en résulter de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.
Les dispositions contestées de l'article L. 421-5 du code de l'environnement prévoient que les fédérations départementales des chasseurs assurent l'indemnisation des dégâts causés par le grand gibier dont, en application des dispositions contestées de l'article L. 426-5 du même code, le financement est réparti entre leurs adhérents.
Trois motifs conduisent le Conseil constitutionnel à considérer que ces dispositions ne méconnaissent pas la Constitution
Tout d’abord, en adoptant ces dispositions, le législateur a entendu assurer le financement de l'indemnisation des dégâts causés par le grand gibier aux cultures et récoltes agricoles.
Il a donc poursuivi un objectif d'intérêt général.
En deuxième lieu, il résulte de l'article L. 421-5 du code de l'environnement que les fédérations départementales des chasseurs sont chargées de participer à la gestion de la faune sauvage, de coordonner l'action des associations communales et intercommunales de chasse agréées, de conduire des actions de prévention des dégâts de gibier et d'élaborer un schéma départemental de gestion cynégétique, dans lequel figurent notamment les plans de chasse et les plans de gestion.
Ainsi, la prise en charge par ces fédérations de l'indemnisation des dégâts causés par le grand gibier est directement liée aux missions de service public qui leur sont confiées.
Enfin, d'une part, seuls les dégâts causés aux cultures, aux inter-bandes des cultures pérennes, aux filets de récoltes agricoles ou aux récoltes agricoles peuvent donner lieu à indemnisation.
En outre, l'indemnisation, dont le montant est déterminé sur la base de barèmes fixés par la commission départementale de la chasse et de la faune sauvage, n'est due que lorsque les dégâts sont supérieurs à un seuil minimal et fait l'objet d'un abattement proportionnel.
D'autre part, l'indemnité peut être réduite s'il est établi que l'exploitant a une part de responsabilité dans la survenance des dégâts et aucune indemnité n'est due si les dommages ont été causés par des gibiers provenant de son propre fonds.
Par ailleurs, la fédération départementale des chasseurs a toujours la possibilité de demander elle-même au responsable de lui verser le montant de l'indemnité qu'elle a accordée à l'exploitant.
Il résulte de tout ce qui précède que, compte tenu de la charge financière que représente en l'état l'indemnisation des dégâts causés par le grand gibier, les dispositions contestées n'entraînent pas de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.
Le grief tiré de la méconnaissance de l'article 13 de la Déclaration de 1789 doit dès lors être écarté.
Décision n° 2021-963 QPC du 20 janvier 2022, Fédération nationale des chasseurs [Indemnisation des dégâts causés par le grand gibier aux cultures et aux récoltes agricoles]
Robert CRAUSAZ