Les
maires face aux décharges sauvages
La délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation du Sénat a publié un rapport d’information relatif aux décharges sauvages (rapport d’information n°552 enregistré à la présidence du Sénat le 25 février 2022).
Le sujet est devenu si préoccupant que deux guides ont été élaborés pour aider les maires confrontés à cette situation :
- L’un par l’association des maires de France (AMF) et la Gendarmerie nationale, Mémento sur la gestion des atteintes à l’environnement,
- L’autre par le ministère de la Transition écologique intitulé Guide destiné aux élus relatif à la lutte contre les dépôts illégaux de déchets.
La délégation a donc organisé une table ronde avec des élus locaux et des fonctionnaires pour essayer de dégager des conseils. M. Fabien Kees, maire de Dannemois (le maire de Dannemois a été renversé par un gérant d'entreprise, qui tentait de se débarrasser illégalement de gravats), M. Philippe Vignon, Vice-Président de la communauté d'agglomération de Saint-Quentin, le Général Sylvain Noyau, chef de l'Office central de lutte contre les atteintes à l'environnement et la santé publique.
M. P. Vignon observe que dans sa communauté d’agglomération, le phénomène est en augmentation : il y avait 46 dépôts sauvages en 2019, 153 en 2020.
La table ronde a montré que les dépôts sauvages sont majoritairement effectués par des professionnels, appartenant généralement au secteur du bâtiment.
Neuf pistes de réflexion ont été avancées par les participants afin d'améliorer la lutte contre les décharges sauvages : certaines requièrent une modification des textes (loi ou règlement), d'autres relèvent davantage des « bonnes pratiques ».
1ère piste : Légiférer pour clarifier l'usage des pièges photographiques et caméras de chasse.
En effet, les élus, M. Fabien Kees et M. Philippe Vignon ont tous deux appelé de leurs voeux une consolidation juridique du recours aux pièges photographiques et aux caméras de chasse, dont ils ont souligné le grand intérêt pratique dans la lutte contre les décharges sauvages.
2ème piste : Mettre en place une amende forfaitaire délictuelle en cas de décharges sauvages afin de permettre une sanction pénale plus rapide.
M. Philippe Vignon a invité à réfléchir « dans le cadre de l'arsenal répressif, à une amende forfaitaire délictuelle, afin d'éviter la lourdeur des procédures arrivant devant le tribunal ».
Le Général Sylvain Noyau s'est déclaré favorable à l'instauration d'une telle amende, susceptible d'être « un vecteur de simplification des procédures ».
3ème piste : Contraindre les professionnels du bâtiment chargés d'éliminer les déchets de présenter au commanditaire des travaux une preuve de dépôt en déchetterie.
Les échanges ont souligné que les dépôts sauvages résultent fréquemment de comportements d'entreprises du bâtiment qui veulent s'affranchir du coût des déchetteries, ce qui ne les empêche pas de les facturer à leurs clients.
Faire peser sur les entreprises du bâtiment une telle charge de la preuve pourrait ainsi éviter certains dépôts sauvages.
4ème piste : S'appuyer davantage sur les gardes-champêtres dans la lutte contre les décharges sauvages, ces agents étant dotés d'attributions importantes en matière de police de l'environnement.
En effet, les intervenants ont salué l'importance des gardes-champêtres dans ce domaine.
Ainsi, M. Philippe Vignon a déclaré : « Le garde-champêtre a des pouvoirs importants en matière de police de l'environnement, notamment au titre de l'article 24 du code de procédure pénale, qui lui permet de rechercher et constater les délits portant atteinte aux propriétés privées et publiques situées sur les communes pour lesquelles ils sont assermentés.
L'article L. 172-4 du code de l'environnement leur permet également de conduire des enquêtes d'un bout à l'autre, ce qui libère de cette charge la police et la gendarmerie.
Contrairement à la police municipale, qui ne peut qu'interpeller l'auteur d'une infraction et le conduire devant l'officier de police judiciaire, le garde-champêtre peut conduire son enquête en totalité, c'est-à-dire constater l'infraction, procéder à des auditions libres de personnes mises en cause, procéder le cas échéant à des visites domiciliaires et terminer la procédure jusqu'à ce que celle-ci arrive au parquet.
C'est donc un dispositif précieux »
Cependant, de nombreuses communes rurales ne sont pas en capacité d'avoir des gardes-champêtres à plein temps et, en conséquence, les possibilités de mutualisation intercommunale méritent d'être explorées.
La loi engagement et proximité n°2019-1461 du 27 décembre 2019 a, rappelons-le, ouvert de nouvelles possibilités de mutualisation des gardes champêtres : à l'instar des policiers municipaux, leur mise à disposition entre communes et l'initiative de leur recrutement par le président de l'EPCI est désormais possible.
En outre, les gardes champêtres pourront être recrutés par un EPCI et mis à disposition d'un autre EPCI ou d'une commune non membre de cet EPCI.
Par ailleurs, la même loi a précisé dans le code de l'environnement que les gardes champêtres étaient qualifiés pour procéder à la recherche et à la constatation d'infractions en matière de déchets.
5ème piste : Réfléchir à l'échelon d'intervention le plus pertinent entre la commune et l'intercommunalité (principe de subsidiarité).
Sur ce point, M. Philippe Vignon a souligné l'efficacité de l'échelon intercommunal en matière de lutte contre les décharges sauvages : « Depuis mai 2017, la communauté d'agglomération de Saint-Quentin s'est dotée d'une brigade d'intervention en matière d'environnement (BIE) ».
Votre délégation rappelle, à cet égard, que la loi n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire (dite « loi AGEC »), a étoffé l'article L. 5211-9-2 du code général des collectivités territoriales en donnant la possibilité aux maires de transférer les prérogatives de police qu'ils détiennent, au sens de l'article L. 541-3 du code de l'environnement, pour réprimer les dépôts sauvages, au président d'un groupement de collectivités compétent en matière de collecte des déchets.
6ème piste : Renforcer la coopération entre les maires et le parquet dans la sanction des auteurs de décharges sauvages (information, coordination, notification au maire des suites données à leurs signalements).
Cette piste rejoint une forte préoccupation de notre délégation : le maire, qui est au coeur du continuum de sécurité, doit être étroitement associé aux actions menées par le parquet, notamment dans le cadre des CLSPD (comités locaux de sécurité et de prévention de la délinquance)2(*).
7ème piste : Encourager les particuliers victimes d'un dépôt sauvage sur un terrain privé à déposer plainte, voire à se constituer partie civile.
L'article R 633-6 du Code pénal punit d'une amende prévue pour les contraventions de 3ème classe le fait d'abandonner des déchets, matériaux, liquides insalubres ou tout autre objet sur un lieu public ou privé.
M. Fabien Kees a ainsi relevé que « le constat du dépôt sauvage et l'enquête sont faits de la même manière, que le terrain soit privé ou public ».
Il a cependant indiqué que certaines « réticences s'exprimaient au moment de déposer plainte » car « des particuliers craignent d'être, par la suite, ciblés ou victimes de représailles ».
Concernant la constitution de partie civile, M. Fabien Kees a également souligné la difficulté du chiffrage du préjudice (matériel ou moral) subi par le propriétaire privé du fait du dépôt sauvage sur son terrain.
Un travail de pédagogie et d'information mérite donc d'être mené en direction des propriétaires de terrains privés.
8ème piste : Mener des actions de prévention et de sensibilisation auprès des professionnels et des particuliers, notamment au travers des Opérations Territoire Propre (OTP).
Le général Noyau a souligné que « la gendarmerie intervient au travers des Opérations Territoire Propre (OTP), dont les premières ont vu le jour en 2020, avant d'être ralenties durant plusieurs mois du fait de la pandémie.
Elles ont été réactivées début 2021.
Ce sont des manoeuvres coordonnées, généralement au niveau des régions ou des groupements ».
Ces opérations ont une vocation à la fois répressive et préventive.
9ème piste : Instaurer un partenariat entre les communes et les chasseurs et/ou les associations de chasse, pour prévenir les dépôts sauvages. Robert CRAUSAZ